LA DÉPÊCHE | 2022 | Delphine Pereira

Entre recherche et dramaturgie, le dispositif du GdRA rend compte d’une diversité culturelle et naturelle toujours plus menacée par l’Occident. Selve déplace le terrain de l’enquête en Guyane française, parmi le peuple amérindien des Wayana.(1)
Depuis 2007, le GdRA (Groupe de recherches artistiques) développe une pratique singulière, associant recherche et spectacle, dans la lignée des « théâtres du réel (2) ». Ses fondateurs, l’anthropologue et musicien Christophe Rulhes et le circassien Julien Cassier, y invitent des intervenants de toutes disciplines afin de porter sur scène, de rendre sensible et représentable la parole des personnes qu’ils interrogent. Au commencement, donc, un dispositif d’enquête sur un terrain parfois lointain, les entretiens filmés venant s’enrichir de dessins et de peintures, de photographies et de captations audio – matériau d’une vertigineuse investigation scénographique et dramaturgique.
Après Lenga (2016), Selve constitue le deuxième volet de la Guerre des natures, où le GdRA met en scène, dans l’héritage revendiqué des anthropologues Bruno Latour et Philippe Descola, la rencontre d’une conception « moderne » du monde, fondée sur la prise de possession de la Terre par les hommes, avec les pratiques de populations « terriennes » dans l’imaginaire desquelles la distinction entre nature et culture est privée de sens. Après Madagascar et l’Afrique du Sud, le terrain se dé- place cette fois en Guyane française, dans la forêt amazonienne, parmi le peuple wayana, désormais menacé, comme les autres Indiens d’Amazonie, par les violences et la pollution liées à l’orpaillage, la propagande envahissante des évangélistes et une véritable épidémie de suicides, en particulier chez les jeunes gens. Accompagnés du dessinateur et fabricant d’images Benoît Bonnemaison-Fitte, de la photographe Hélène Canaud et du réalisateur Nicolas Pradal, auteur d’un documentaire sur les Wayana, Christophe Rulhes et Julien Cassier se sont rendus à la rencontre d’Aimawale Opoya, artiste et excellent connaisseur et transmetteur de sa culture, par ailleurs porte-parole de sa communauté. Pendant six semaines, ils font la connaissance de sa famille et de son entourage, interrogent, en- registrent, photographient. La parole revendicatrice d’une jeune nièce d’Aimawale, Sylvana, la singularise, comme la voix possible d’un spectacle à venir.
DES OBJETS PORTEURS DE SENS
Tout en en partageant l’ambition heuristique, le travail du GdRA se tient à contre-courant d’un théâtre fondé sur une recherche documentaire visant à une forme de vérité objective, tendant à effacer le rôle et la vision des auteurs. Le parti pris est celui de la subjectivité: en premier lieu celle du témoin, que le protocole d’enquête invite à s’exprimer le plus librement possible, en son nom propre. C’est autour de la parole de Sylvana – qui traverse le spectacle, à défaut d’être physiquement sur scène, tel que cela avait été prévu – que s’organise le travail de création. L’intervention de Christophe Rulhes n’est pas moins subjective, qui réécrit les propos de Sylvana, quitte à les « trahir », avec son accord, afin de produire un texte que les improvisations font elles-mêmes exploser au cours de la production du specta- cle. Toutes les contradictions que suppose la rencontre des cultures s’expriment : Sylvana, qui s’est d’abord exprimée en français, a re-traduit elle-même en wayana son témoignage relu par Christophe Rulhes ; à sa voix, celui-ci fait répondre celle d’un personnage fictif, voire mythologique, nommé Selve, femme-forêt matricielle, dont la parole prophétique emprunte à un vocabulaire savant. Ce paradoxe est revendiqué : plus que postcolonial, le projet se veut « décolonial », reflet d’un métissage constant des identités et des pratiques. La parole de Sylvana prend place dans un monde sonore que restitue Christophe Rulhes: sur scène, la musique est omnipré- sente, tirant notamment son inspiration des sons et des musiques enregistrés sur le terrain. Presque vide d’hommes, ce monde est aussi puissamment habité d’êtres vivants réels ou imaginaires – cette distinction ne fait pas sens pour les Wayana –, notamment ces esprits jolok que Benoît Bonnemaison-Fitte a eu pour tâche, sinon de représenter, du moins d’évoquer. Il s’est inspiré, pour ce faire, de la culture visuelle des Indiens, qui produisent ta- touages et peintures corporelles, vannerie, objets, ainsi que ces peintures circulaires nommées maluwana, ou ciels de case, représentant les traditions d’une communauté, dont un exemplaire figure sur scène. Chacun des grands lés de papier qu’il a peints à son retour prend en charge une partie de la narra- tion; peu à peu, la black box se peuple d’un univers symbolique, dont le foisonnement reflète celui de l’environnement naturel. Il ne s’agit pas d’un décor, insiste l’artiste, mais d’objets efficaces, porteurs de sens. Sur scène, la famille de Sylvana est représentée au moyen des portraits d’Hélène Canaud, invitée par le GdRA suite à ses travaux sur les populations pygmées d’Afrique centrale. Cette forêt de visages en taille réelle, installée sur des socles mobiles, est sollicitée en fonction d’une narration incarnée physiquement par les comédiens.
THÉÂTRE DE L’HYBRIDATION
Le travail du corps est en effet essentiel, relevant moins d’une chorégraphie que de la création autonome des comédiens-danseurs, répondant, chacun selon ses moyens, au défi de résonner aux paroles de Sylvana, de seconder son récit, de relayer les mots lorsqu’ils font défaut, en particulier face à la situation d’extrême violence que subissent les Wayana. Le corps acrobatique de Julien Cassier exprime une présence brute, proche du sol, prête à la chute, redoublée par la présence de Chloé Beillevaire, invitée pour la physicalité violente, « terrienne », de sa danse, à même de représenter les invisibles jolok et les âmes des suicidés, et sa capacité à s’emparer de la musicalité de la langue wayana. Bénédicte Le Lamer est, quant à elle, la voix de Sylvana en français, dont elle s’approprie et réinvente le texte.
Le dispositif de Selve ne compose pas un discours : le sens y est suggéré, suscité par la multiplicité des démarches. Dans ce théâtre de l’hybridation, chaque « Personne » entretient des rapports dynamiques avec des cultures qui ne s’opposent pas nécessairement. L’oralité, la multiplicité des langues – reflet de la ri- chesse du terrain en faune et en flore – y témoignent d’une diversité que l’Occident est en passe de terminer de détruire. ■
(1) Le spectacle fait l’objet d’une publication aux Solitaires intempestifs, la Guerre des natures, accompagnée d’un double CD, 144 p., 19 euros.
(2) Mouvement ou tendance qui, à partir des années 1980, vise à faire du théâtre un lieu de représentation des réali- tés sociales, en particulier en mettant en scène la parole et les problèmes des personnes ordinaires.
un des idiomes d'Afrique du Sud, le français et l'anglais. Dans ce spectacle de la compagnie toulousaine le GdRA, ils sont quatre jeunes artistes à témoigner de leur culture par le verbe, la musique et la danse. Des vidéos et des enregistrements sonores donnent le point de vue des " anciens " : il est question de transmission entre générations, de rituels, de spiritualité. Les bonds de félin de Maheriniaina Pierre Ranaivoson, la danse précise et saccadée de Lizo James expriment, eux, la puissance charnelle de toute langue. Ce spectacle documentaire très inventif, d'une émouvante vérité, loue la diversité des cultures et pousse un cri d'alarme : la moitié des 6 000 langues de la planète risque de disparaître prochainement."
L'émotion, voilà la sensation forte qui submerge en écoutant «Lengua» soit les mots que ces quatre garçons réunis à l'initiative du GdRA de Christophe Rulhes et Julien Cassier, connus ici pour «Le triptyque de la personne» présenté au Garonne depuis 2007 («Singularités ordinaires», «Nour» et «Sujet»). Avec eux sur scène, Maheriniaina Pierre Ranaivoson, acrobate, danseur et chanteur Merina de Madagascar ainsi que Lizo James, danseur et musicien Xhosa, sud-africain élevé dans les townships du Cap, et leurs aïeux, locuteurs de dialectes de Madagascar, d'Afrique du Sud, d'Occitanie. Ils pourraient être encore d'ailleurs, Amérindiens, Maoris, Lapons, tous confrontés à la fin d'un temps. Ils seront d'Amazonie, de La Réunion, du Japon, de Nouvelle Calédonie dans les prochaines étapes de cette recherche, baptisée «La guerre des natures», consacrée aux points chauds de l'Anthropocène — l'ère des activités humaines qui impactent l'écosystème terrestre — qui confrontent nature et culture.
C'est du temps des arbres, de la biodiversité entretenue par la présence des hommes et des cultures qui disparaissent quand l'homme rejoint les villes, dont il s'agit dans ce spectacle mêlant efficacement mots, musiques, danses, présenté en partenariat avec l'Usine, Centre national des arts de la rue de Tournefeuille – Toulouse Métropole. Avec lui, les langues, les dialectes, les traditions se font bouffer, s'évanouissent pour laisser place à l'uniformisation des cultures, à la mondialisation mais, l'espoir demeure, puisque «Partout où poussent des arbres,
les langues résistent...» À voir absolument.
« Lenga », le nouveau spectacle de GdRA nous emmène au Cap et à Madagascar sur des terres de vieilles langues. On y danse, on y chante nous disent, dans leur langue, Lizo et Mahéry accompagnés par Christophe et Julien, créateur de la compagnie GdRA. Une enquête en forme de quête. Documentée et tonique.
En 2007, le premier spectacle de la compagnie GdRA (Groupe de Recherches Artistiques) co-fondée par Christophe Ruhles et Julien Cassier avait pour titre « Singularités ordinaires ». C’était plus qu’un titre, tout un programme. Tous leurs spectacles traversent des identités singulières et c’est le cas de leur nouvelle création « Lenga ».
Lenga nostra
Comme à chaque fois, Christophe Rulhes, par ailleurs diplôme en communication, sociologie et anthropologie à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales), signe la conception, le texte et
la mise en scène du spectacle tout assurant une partie de la musique. Comme à chaque fois, Julien Cassier qui avait suivi un cirque itinérant avant d’intégrer l’école Nationale des arts du cirque où il s’est formé comme voltigeur et acrobate, signe, lui, la chorégraphie.
Chacun de leurs spectacles tourne autour de rencontres associées à un travail d’enquête. Cette fois, ils ont rencontré Lizo James, membre du ZIP ZAP Circus School au Cap (Afrique du Sud) et Mahériniaina Pierre Ranaivoson qui lui, à Antananarivo (Madagascar), est membre de la compagnie l’Aléa des Possibles, une école de cirque social. Le fil rouge de « Lenga » c’est la langue, celle de la famille, de la tribu, du clan, des ancêtres.
Tout est parti d’un vieil enregistrement effectué par Christophe Rulhes quand il avait huit ans. Sur la bande magnétique, la voix de son grand-père parle une langue qu’il ne comprend pas mais il lui plaît de l’entendre. C’est l’occitan, que son grand-père appelle la « lenga nostra ». Pourquoi ne lui a-ton pas appris la langue de ses ancêtres ? Pourquoi, l’institutrice se moquait de son grand-père lorsqu’il est arrivé à l’école parce qu’il ne connaissait pas le français seule langue des écoles de la République? Et ailleurs comment c’est ? Son ami et complice de GdRA, le toulousain Julien Cassier, partage ce questionnement. L’enquête commence en partant d’un constat : chaque année des langues disparaissent de par le monde, c’est une énorme perte. C’est ce qui est dit au début du spectacle qui vire un peu trop au blabla seul moment de faiblesse où le discours prend le pas sur l‘expressivité scénique.
La langue xhosa et la langue mérina
L’enquête va les conduire au Cap. Où ils rencontrent Lizo qui parle le xhosa comme l’icône Miriam Makeba et sa fameuse chanson des clics. « Il n’y a que les blancs ou les colons pour appeler cette chanson le chant des clics. En xhosa nous l’appelons Qonggothwane » dit Lizo. Tout cela traverse le spectacle. Il en va de même pour la rencontre à Madagascar avec Maheriniainna (Mahéry) qui est un Mérina, l’une des dix huit « fook »ou tribus malgaches, le mérina étant devenu « la langue officielle de Madagascar malgré la domination du Français ». Mais il est bien d’autres langues sur cette île au sud-est de l’Afrique : une trentaine, un pays de récits comme le remarqua Jean Paulhan qui s’empressa de les recueillir.
Le spectacle avance ainsi dans la découverte de ces deux mondes que portent en eux Lizo et Mahéry réhussés par leur forte persoinnalité, et en écho avec le monde occitan (ce qu'il en reste) des deux autres. Le tout mis en rythme et mouvement par le travail des corps entre danse et acrobatie où Lizo et Mahéry sont associés à Julien Cassier et accompagnés musicalement par Christophe Rulhes (cabrette, guitare, platines).
Mahéry s’attardera sur l’étonnant culte des ancêtres à Madagascar, le famadihana, perpétué auprès d’ immenses tombeaux de pierres et de terre. « On ouvre le tombeau et on sort les corps qui ont demandé à ce qu’on leur change le linceul et on leur en met un tout nouveau, tout propre. » Puis on danse avec les morts. Un film nous montre le dialogue entre Mahery et son grand père Razafiarisoa et un autre filme le dialogue entre Lizo et sa grand-mère Nomathemba qui l’a élevé, vivant à sept dans dix huit mètres carrés, une baraque dans le section D des townships du Cap. C’est là que Lizo a appris la danse gumboot des anciens mineurs et esclaves, les rituels xhosas mais aussi le hip hop et le rap. Jeux de langues et volonté explosive des corps font constamment la paire et se renvoient la balle de l’inventivité. C’est là tout l’art de cette compagnie peu ordinaire qu’est le GdRA : mettre en scène de multiples façons (diversité des langues, des histoires et des formes) des singularités ordinaires.
Dans un spectacle inspiré, « Lenga », des artistes sud-africain, malgache et français réfléchissent à l’extinction des langues et à la « résistance » africaine au phénomène.
La voix est rauque et douce. Les mots dévalent en torrent avec cet accent rocailleux, tonique qui fait rouler les « r » et tonner les syllabes. C’est l’accent occitan, une langue du sud de la France fragilisée, que Christophe Rulhes, a voulu donner à écouter sur scène dans son nouveau spectacle, Lenga (« langue », en occitan). Petit garçon, alors qu’il n’avait que 8 ans, celui qui est aujourd’hui anthropologue et homme de théâtre a eu la bonne idée d’enregistrer la voix de son grand-père paysan. C’est elle que l’on entend sur le plateau du théâtre de Vidy, à Lausanne, en Suisse. Dans l’extrait diffusé, le papy raconte comment la maîtresse d’école le punissait, étant enfant, pour qu’il arrête de parler catalan et se mette enfin à utiliser le français, obligeant la forte tête à répéter devant ses camarades : « Âne j’étais quand je suis né, âne je serai quand je crèverai ! »
Le rapport à l’Afrique ? « Il est évident, précise Christophe Rulhes. La France, comme la plupart des États-nations européens, a tenté de détruire les langues régionales. Alors que sur d’autres continents, et notamment en Afrique, il existe encore une incroyable diversité linguistique. C’est le cas en Afrique du Sud, où l’on parle en plus de l’anglais le zoulou, le xhosa qui compte 8 millions de locuteurs, l’afrikaans, le ndébélé parmi beaucoup d’autres langues.
C’est également le cas à Madagascar, où, à côté du français, minoritaire, existent la langue du peuple merina, aujourd’hui langue officielle, celle des Betsileos… » De là l’invitation lancée au Sud-Africain Lizo James, et au Malgache Maheriniaina Pierre Ranaivoson, tous deux danseurs et acrobates, pour venir évoquer leur rapport à la langue.
Sur scène, toutes les disciplines sont convoquées pour montrer à quel point le verbe est chevillé à l’âme et au corps. Lizo James et Maheriniaina Pierre Ranaivoson dansent leur langue, s’appuyant sur des styles traditionnels comme le gumboot (danse percussive où l’interprète se frappe les jambes), le stick fighting (discipline entre la danse et les arts martiaux se pratiquant avec des bâtons) ou les danses des cérémonies funéraires malgaches. Christophe Rulhes empoigne guitare, saxophone, cornemuse… et chante dans un dialecte improvisé, imaginaire. Son comparse français Julien Cassier, danseur, se fait son porte-parole entre deux chorégraphies.
Carnage
Tous s’adressent directement au public dans leur langue (sous-titrée). Parfois, en fond de scène, sont projetés des entretiens vidéo avec les grands-mères de Lizo et Pierre, filmées dans leur pays. Ce que tous donnent à entendre, au-delà des expériences personnelles, c’est une urgence à enrayer l’effacement des mots anciens. Ces mots qui contiennent en eux la voix des ancêtres, les musiques, les poèmes d’antan, un certain rapport au monde et à la nature. Ces mots qui tout simplement nous définissent en tant qu’humains.
Or la guerre des langues fait déjà de nombreuses victimes. À en croire la pièce, « les colons, les touristes, les professeurs, les explorateurs, même les natifs »… ont participé ou participent au carnage. « On estime aujourd’hui qu’il existe entre 5 000 et 7 000 langues toujours vivantes à travers le monde… et que jusqu’à 50 % d’entre elles vont disparaître dans le siècle à venir », précise Christophe Rulhes.
Il cite le linguiste australien Nicholas Evans, qui compare cette extinction massive à celle des espèces animales. « Évidemment, des langues s’inventent, comme les tsotsitaals, ces parlers de rue créées dans les townships sud-africains dans les années 1940, mais ce n’est rien en comparaison de l’érosion de toutes les langues régionales en concurrence avec des modes de communication internationaux, notamment de l’anglais. »
La solution ? Continuer à prononcer les anciens mots, à faire parler la diversité. Lenga, en donnant à entendre des langues plurielles, y contribue déjà à sa façon.
“La salle du Marché-Couvert a accueilli la compagnie toulousaine GdRA pour la restitution de son projet culturel de territoire dans le cadre de la convention de territoire signée avec la DRAC, le département et la mairie. Suite à des rencontres, entretiens et tournages de films réalisés à Lavelanet et aux alentours, le GdRA a créé «LAVELANET», un spectacle pluridisciplinaire à la croisée des arts vivants et des arts du documentaire filmé, placé au cœur d’un dispositif vidéo composé de six écrans géants sur lesquels ont été projeté les témoignages des personnes-ressources, images de la ville et de ses alentours. […] Le public s’est laissé emporter dans l’univers du GdRA et a vécu d’intenses moments avec les artistes, qui ont su transmettre toute leur sensibilité et leur profonde humanité, tout en lui offrant la beauté de leurs performances.”
Douceur de la pluie…
"Le Bois de l’Aune a eu le privilège d’accueillir la toute nouvelle création de la compagnie Cirquons Flex, La Pli i donn. Poursuivant son travail de recherche culturelle et identitaire, déjà abordé avec le superbe Dobout An Bout que l’on avait applaudi en 2013 durant l’année de Marseille Capitale, cette compagnie aborde un dialogue interculturel dans la zone de l’Océan Indien, partant de la Réunion, d’où elle est issue, pour y adjoindre Madagascar et l’Afrique du Sud, mêlant ainsi fonnkèrs créoles et Gumboots sud-africain. Décidément éloigné de tous les clichés sur les îles, le propos nous entraîne une fois de plus dans une approche juste, pertinente, profondément humaine des êtres. Le thème central n’est rien moins que la mort, traitée à la fois du point de vue de l’anthropologue et du poète. L’écriture polyphonique, transgenre, unit l’art circassien à la poésie (magnifiques textes de Danyel Waro), la danse au chant, à l’improvisation, pour un spectacle atypique, virtuose et onirique. On frémit devant les exploits au mât pendulaire, qui voit les mêmes acrobaties que le mât chinois, mais en mouvement ! On a envie de partager la danse festive et joyeuse de la cérémonie mortuaire malgache, avec la sortie du mort, impeccablement raide, quels que soient les gestes de la foule qui l’emporte avant de le recouvrir de nouveau de feuilles sèches d’eucalyptus et de litchis. La musique naît sur scène, émanation logique des intentions, tout comme la chorégraphie de l’ensemble. On se laisse emporter dans cet univers mis en scène par Christophe Rulhes (Cie GdRA), avec un rythme toujours soutenu et des artistes, Virginie Le Flaouter, Vincent Maillot, Lizo James, Maheriniaina Pierre Ranaivoson, qui outre la beauté de leurs performances, savent transmettre leur profonde humanité. Le cirque ici prend une dimension universelle et sensible. Du grand art !"
"Le passage à la scène de cette écriture étoilée et de ces éclats de langage polyvalent convie ensemble l’acrobatie, la danse, le théâtre, le texte, la vidéo et la musique. La visée dramaturgique transfigure le réel en partant du quotidien. Les performers s’engagent de tout leur corps dans l’espace scénographique et son volume – sons et images, mouvements et jeux de scène, écran et cordes lisses. [...] Tous les interprètes s’adonnent à leur art dans le respect des autres : ils sautent, s’élancent dans les hauteurs, rebondissent, tombent, chutent, se relèvent, s’attachent à des liens improbables puis s’en délivrent. On ne sait où donner de la tête face à ce capharnaüm organisé à l’écoute de la guitare, de la clarinette basse, de l’accordéon, des claviers, de la batterie et des percussions, près des troncs d’arbres et des cordes attachées librement aux cintres. Qui est-on ? Rechercher ainsi son identité dans le déploiement des performers est un plaisir."
[…] le GdRA non seulement échappe à cette critique mais utilise ces différents modes d’expression comme les éléments essentiels d’une grammaire au service de sa syntaxe. Il invente un langage scénique qui, en déstructurant l’unicité de la forme, entend mettre en oeuvre un langage multiforme, seul à même de rendre compte de la déconstruction nécessaire du sujet-humain. En effet pour contrecarrer toute vision dogmatique de ce qu’est une personne, le recours à des expressions éclatées que sont la vidéo, le cirque, la danse, le théâtre et la musique, participe de manière métaphorique à ce dessein. »
– Un Musée de la Personne, une « oeuvre ouverte et muséographique » composée de douze témoignages filmés, restitués en mouvement sur douze écrans. Depuis 2007, le GdRA (formé par l’auteur, musicien et metteur en scène Christophe Rulhes, et l’acrobate, chorégraphe et scénographe Julien Cassier) se voue à un «théâtre d’enquête et d’anthropologie», dont le spectacle Singularités ordinaires a constitué l’acte fondateur d’un triptyque sur la personne. Evoquant « une quête de fiction vraie qui se joue à l’affût des singularités qui habitent nos mondes », le GdRA assure que « les prétendues échelles de légitimité de la domination culturelle sont floutées et ramènent à des modes d’existence qui échappent aux règles instituées de la visibilité convenue ». »
Le groupe, en même temps qu’il invente une méthodologie, crée un style de spectacle très particulier, issu des savoirs faire de ses fondateurs, Julien Cassier et Christophe Rulhes. L’alchimie entre la rigueur anthropologique de leur démarche et leurs talents de créateur, musicien, danseur issu du nouveau cirque, aboutit à une esthétique encore non identifiée. Concernant VIFS – Un Musée de la Personne, il faut s’attendre à un objet spectaculaire « pluridisciplinaire, à la croisée des arts vivants, des arts du documentaire filmé, des arts multimédias et numériques, des arts et de la science."
"Ecrit à partir de témoignages réels collectionnés, cette pièce met en scène l’histoire fictive d’une jeune française et fille d’immigrés nord-africains, qui essaie par le biais de la danse urbaine de trouver sa propre identité. Un tremplin géant transforme les murs, éclairés par des projections vidéo en grand format, en sols de danse verticaux.
Des textes sensibles et des images impressionnantes nous font plonger d’une manière nouvelle dans des sujets très anciens comme l’héritage culturel, les conflits de générations et le développement personnel. Un théâtre d’action anthropologique qui propose une fusion des différentes disciplines artistiques pour parvenir à une ‘fiction réelle’ très convaincante."
« Avec ROërgue, le GdRA inaugure un nouveau volet de son cycle Experts du vécu : ce vocable imaginaire, symbolisant « un territoire imaginé, comme tous les territoires sans doute », part du postulat que « tout territoire, avec ses spécificités historiques et culturelles ancrées, n’est que le fruit de ce que ses habitants et ses observateurs en font et en disent, qu’il est aussi une imagination[…] Le territoire est une réalité relationnelle vivante qui questionne la politique des cartes, étaie le metteur en scène Christophe Rulhes. Un territoire, c’est d’abord la liste des entités dont on dépend ; les territoires sont ces liens invisibles qui unissent humains et non-humains » : sur le plateau immaculé, la prosodie du comédien Sébastien Barrier s’adapte au ressac de l’Océan qui rythme la vie du littoral costarmoricain, pour esquisser douze parcours de vie qui en constituent le territoire : famille de pêcheurs, boxeur, danseurs traditionnels, jeune immigrée de Mayotte… Les artistes du GdRA s’enhardissent à prendre le large, s’autorisant à desserrer ou resserrer à l’envie le lien qui les unit aux personnages, ces interlocuteurs trônant sur l’écran géant qui les domine au plateau. Gageure de ROërgue : pour les artistes, il s’agit toujours d’incarner artistiquement un territoire, mais cette fois par le biais quasi exclusivement sonore. L’acrobate Julien Cassier abandonne un temps le langage du corps pour s’affairer aux consoles ; le batteur Camille Gaudou rejoint le collectif pour accompagner les guitares saturées qui côtoient les chants bretons. Après avoir délivré les clés de sa démarche dans ses deux premiers spectacles (Singularités Ordinaires, Nour), et avant le 3e volet de son Triptyque de la Personne (SUJET), le GdRA creuse un nouveau sillon de son théâtre anthropologique, éternellement soucieux de donner à ressentir la porosité qui existe entre les savoir-faire. »
Nour El Yacoubi, c’est d’abord un nom qui s’épelle, avec des lettres, et les lettres, les mêmes, aussi fou que cela puisse paraitre peuvent composer d’autres mots, comme Personne, comme identité, comme identité d’une personne, comme intégrité mieux qu’intégration, comme danse.
Le GdRA est un collectif agissant, scénique, qui ne semble pas s’effrayer d’utiliser tout ce qui est à sa portée, pour dire, et porter les mots haut. Haut comme deux corps rebondissant sur un trampoline, haut comme un baiser que l’on se donne tout en haut, haut comme la musique arrivant par surprise. Malgré l’interdiction de s’aimer et celle de danser. Nour est le deuxième spectacle d’une trilogie qui commençait bien, puisqu’elle commençait par les Singularités ordinaires. Nour est le témoignage que les sciences humaines survivent à la scène. Et Nour c’est la lumière en arabe littéraire. Christophe Rulhes et Julien Cassier ont fondé (avec Sébastien Barrier) en 2007 le GdRA, et sont nos invités aujourd'hui.
le musicien Christophe Rulhes et l’acrobate Julien Cassier les deux co-fondateurs, et le bonimenteur Sébastien Barrier. Pourtant leur théâtre anthropologique et pluridisciplinaire repousse nettement les frontières du genre. Unis par le désir de faire entendre des histoires collectées pour les restituer dans un récit fictionnel, les trois créateurs habitent un espace fait de mots, d’images, de danse et d’acrobatie. Leur esthétique sophistiquée tend à restituer l’ordinaire, via le théâtre documentaire pour mieux le sublimer."
La recherche d'une communication avec le public, un travail de fourmi qui commue des phrases éparses en mosaïque. Le résultat de révèle touchant, souvent drôle."
, dans une narration fragmentée qui fait effectivement feu de tout bois et joue de tous les montages, mixages et frottements possibles entre les images de différente nature, le mouvement, les niveaux de parole- écrite, orale-, la musique. Avec, comme le dit Christophe Rulhes, "un plaisir de gamins jouant au bac à sable"."
et, dans Singularités ordinaires, ce qui se raconte est porté à la fois par la parole, l’espace, les images vidéo, la musique, le mouvement et le graphisme […] par tout ce qui peut amener une forme de déconstruction énergique et joyeuse, au service d’un travail qui, sans avoir l’air de trop y toucher, questionne la notion de culture – vernaculaire, élitiste ou populaire, locale ou universelle – dans la lignée du philosophe et sociologue Bruno Latour, l’auteur d’Un monde pluriel mais commun et de Nous n’avons jamais été modernes, dont ils sont proches.
[…]
Le GdRA nous emmène sur ces nouveaux territoires de l’art qui sont à la fois géographiques, politiques et formels, dans l’entremêlement des superbes figures acrobatiques de Julien Cassier, de la capacité à observer le réel de Christophe Rulhes, de la force oratoire de Sébastien Barrier, et de leur générosité commune.
regrette Renée-Jeanne Faure. Et pour cause. C’est sa langue maternelle. À 87 ans, cette habitante de Limeyrat vit une aventure peu ordinaire. Elle est l’héroïne d’un portrait du GDRA, Groupe de Recherche Artistique, conçu sous forme de spectacle. On en découvrira une première ébauche vendredi 22 mai, à 20 h 30, au marché couvert de Thenon.
Basé à Toulouse, le GDRA est une compagnie formée de trois artistes : Christophe Rulhes, musicien et sociologue, Julien Cassier, acrobate et Sébastien Barrier, comédien. Ils réalisent des portraits théâtralisés où ils s’expriment par le geste, la voix, le chant, la musique et la vidéo. Accueillis à plusieurs reprises à l’Agora de Boulazac, ils sont entrés en contact avec les animateurs de l’Agence culturelle départementale qui a initié ce nouveau projet, en partenariat avec la Communauté de communes Causses-et-Vézère.
Les artistes sont reçus en résidence pour réaliser le portrait de Renée-Jeanne, dans le cadre de la collecte de la langue occitane en Périgord. Accompagnés par Nicolas Dussutour, spécialiste de l’occitan, ils se sont rendus plusieurs fois chez elle pour la filmer et lui faire raconter ses souvenirs.
« Le spectacle s’appellera Chafre, le surnom. Autrefois, tout le monde en avait un. On se nommait deux fois, on appartenait à deux cultures », explique Christophe Rulhes.
« Quand je suis entrée à l’école, je ne parlais pas français », souligne Renée-Jeanne. Ses parents étaient agriculteurs à Saint-Géraud-de-Corps. Leur langue, c’était l’occitan, en cette fin des années 1920. Renée-Jeanne apprend vite. Elle passe son certificat d’études, puis retourne aider ses parents à la ferme. À 22 ans, elle se marie et vient s’installer à Limeyrat, dans la maison où elle habite toujours, au hameau de la Champagne.
« J’ai fermé mon livre, j’en ai ouvert un autre », dit-elle. Lorsqu’elle arrive à Limeyrat, trois générations cohabitent sous le même toit. Renée-Jeanne élève ses deux enfants, Josette et Alain, et continue à travailler la terre, avec Marcel, son époux, aujourd’hui disparu. « Tous les deux, on ne se parlait qu’en occitan ». Mais avec les enfants, ils s’exprimaient en français.
« Je trafique ». Renée-Jeanne a toujours été active. À 65 ans, elle n’a pas hésité à passer son permis de conduire. À la suite d’une fracture du fémur, elle a laissé sa voiture au garage, il y a quatre ans.
Sa silhouette frêle cache une énergie peu commune. Si elle marche avec une canne, cela ne l’empêche pas de s’occuper.La cuisine, la lecture, le scrabble, le crochet, où elle réalise des merveilles, Renée-Jeanne se passionne pour quantité de choses. Naturellement, elle dorlote ses petits enfants et ses arrière-petits-enfants qui l’appellent « Mamie Cocotte ». Elle prépare de grands repas de famille, où elle ressort des recettes d’autrefois, le « jimbourat » ou les choux farcis.
« À mon âge, on se rend compte à quel point les choses ont changé. On labourait avec les boeufs. Quand mes enfants étaient petits, on allait laver le linge dans les étangs. » Renée-Jeanne a vécu ces bouleversements avec générosité et un bel amour de la vie. Et la préparation du spectacle ? « J’ai été surprise. Mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. »
en amont laisse éclater sur le plateau des présences individuelles, portées par une technique virtuose qui ne boude ni l’esthétisme ni l’émotion, mais n’est jamais gratuite ni instrumentaliste. [..]
Un spectacle du GdRA se présente toujours comme un puzzle qui happe le spectateur, s’instille dans sa psyché, laissant la voie libre à une émotion submergeante dénuée de tout a priori. »
Ils fondent le GdRA, « nom acronyme comme ceux des groupes de recherche de l'EHESS ou du CNRS », disent-ils en guise d'explication. Et débarquent à Avignon avec Singularités ordinaires. D'entrée de jeu, on est séduit. [..] Les artistes excellent dans leur art respectif et c'est un régal de les voir jouer, danser, parler, chanter. II y a des moments magiques. Singularités ordinaires est une proposition qui foisonne de trouvailles et témoigne d'une vitalité dans un genre peu usité, le théâtre documentaire, travaillant avec pertinence sur des lignes de fractures que ce collectif d'artistes parvient à réunir haut la main sur le plateau.
« C’est en croisant leurs chemins en 2005 que Christophe Rulhes, musicien anthropologue, Sébastien Barrier, comédien bonimenteur et Julien Cassier, danseur acrobate, fondent le Groupe de Recherche Artistique. Des savoir-faire parcellaires mis bout à bout pour créer une alchimie inédite à l’exigence acérée. [..]
S’il a l’élégance de sembler s’effacer derrière les propos qu’il sert, le savoir-faire du GdRA se niche dans les interstices pour mieux en magnifier le sens. Portée par la neutralité éclatante d’un blanc immaculé, la scénographie se présente comme une feuille vierge, sur laquelle se déroule à chaque création une nouvelle histoire. Si le recueil de propos est en vogue dans un art en prise avec son territoire, le GdRA ne se contente pas de compiler les paroles de manière angélique, mais s’attache à creuser en profondeur la notion d’identité narrative: se nourrissant de l’exigence d’une méthodologie universitaire quasi anthropologique, oscillant entre neutralité analytique et bienveillance, leur savoir-faire foudroyant-à la fois didactique et léché formellement, sans pour autant instrumentaliser ni surligner- crée des instants d’émotion bruts. [..]
A l’instar d’aplats sonores, musique et chant joués live s’égrainent au fil du spectacle, offrant au spectateur des temps d’accalmie d’une saisissante beauté, l’accompagnant de manière intuitive dans son cheminement vers l’appropriation des informations. Tel un écho à la question de l’unité d’une personne, un spectacle du GdRA se présente comme un puzzle dont les pièces sont délivrées petit à petit. A l’arrivée une émotion terrassante et incompressible d’une sublime et lumineuse évidence. Plus qu’une esthétique, le GdRA a construit une méthodologie, donnant naissance au concept inédit de spectacle documentaire vivant ».