CHAFRE
Depuis quand ne cesse d’évoluer le monde paysan ? Et qu’en est-il de la fin du néolithique que content certains philosophes ou poètes, où l’homme de culture, celui qui plante et récolte aurait statistiquement disparu des campagnes ? Peut-on parler des origines de l’activité paysanne autrement qu’en mythes versifiés ou études savantes ? Paysannes, paysans : femmes et hommes de cultures, de langues, de gestes et d’arts. Il est intéressant de relever que certains anciens du Maroc ou de la France déclarent « Nous étions dans la culture » pour dire qu’il furent agriculteurs. Renée-Jeanne Faure du village de Limeyrat en Périgord est de ceux-là. Elle parle de terre, de territoire, de bilinguisme contrarié, de danse, d’élevage, de l’art et de la peur de vieillir, de la transmission et de la mémoire. Chafre, l’art du surnom en Périgord, cette façon de se dire double, d’être appelé, cette duplicité ludique n’est-elle pas une ruse paysanne pour tenir debout, rester droit, se plier sans rompre, comme un vieil arbre souple ? Au plateau, dans un environnement d’images et de sons ponctué de chants, un comédien et un danseur rejouent des bribes d’entretiens réalisés avec Renée-Jeanne. S’en dégage un fatalisme narratif paradoxalement emplit d’espoir.
SUD OUEST | 2010 | CHANTAL GILBERT
« L’occitan, je ne le parle plus guère qu’au marché de Thenon »,
regrette Renée-Jeanne Faure. Et pour cause. C’est sa langue maternelle. À 87 ans, cette habitante de Limeyrat vit une aventure peu ordinaire. Elle est l’héroïne d’un portrait du GDRA, Groupe de Recherche Artistique, conçu sous forme de spectacle. On en découvrira une première ébauche vendredi 22 mai, à 20 h 30, au marché couvert de Thenon.
Basé à Toulouse, le GDRA est une compagnie formée de trois artistes : Christophe Rulhes, musicien et sociologue, Julien Cassier, acrobate et Sébastien Barrier, comédien. Ils réalisent des portraits théâtralisés où ils s’expriment par le geste, la voix, le chant, la musique et la vidéo. Accueillis à plusieurs reprises à l’Agora de Boulazac, ils sont entrés en contact avec les animateurs de l’Agence culturelle départementale qui a initié ce nouveau projet, en partenariat avec la Communauté de communes Causses-et-Vézère.
Les artistes sont reçus en résidence pour réaliser le portrait de Renée-Jeanne, dans le cadre de la collecte de la langue occitane en Périgord. Accompagnés par Nicolas Dussutour, spécialiste de l’occitan, ils se sont rendus plusieurs fois chez elle pour la filmer et lui faire raconter ses souvenirs.
« Le spectacle s’appellera Chafre, le surnom. Autrefois, tout le monde en avait un. On se nommait deux fois, on appartenait à deux cultures », explique Christophe Rulhes.
« Quand je suis entrée à l’école, je ne parlais pas français », souligne Renée-Jeanne. Ses parents étaient agriculteurs à Saint-Géraud-de-Corps. Leur langue, c’était l’occitan, en cette fin des années 1920. Renée-Jeanne apprend vite. Elle passe son certificat d’études, puis retourne aider ses parents à la ferme. À 22 ans, elle se marie et vient s’installer à Limeyrat, dans la maison où elle habite toujours, au hameau de la Champagne.
« J’ai fermé mon livre, j’en ai ouvert un autre », dit-elle. Lorsqu’elle arrive à Limeyrat, trois générations cohabitent sous le même toit. Renée-Jeanne élève ses deux enfants, Josette et Alain, et continue à travailler la terre, avec Marcel, son époux, aujourd’hui disparu. « Tous les deux, on ne se parlait qu’en occitan ». Mais avec les enfants, ils s’exprimaient en français.
« Je trafique ». Renée-Jeanne a toujours été active. À 65 ans, elle n’a pas hésité à passer son permis de conduire. À la suite d’une fracture du fémur, elle a laissé sa voiture au garage, il y a quatre ans.
Sa silhouette frêle cache une énergie peu commune. Si elle marche avec une canne, cela ne l’empêche pas de s’occuper.La cuisine, la lecture, le scrabble, le crochet, où elle réalise des merveilles, Renée-Jeanne se passionne pour quantité de choses. Naturellement, elle dorlote ses petits enfants et ses arrière-petits-enfants qui l’appellent « Mamie Cocotte ». Elle prépare de grands repas de famille, où elle ressort des recettes d’autrefois, le « jimbourat » ou les choux farcis.
« À mon âge, on se rend compte à quel point les choses ont changé. On labourait avec les boeufs. Quand mes enfants étaient petits, on allait laver le linge dans les étangs. » Renée-Jeanne a vécu ces bouleversements avec générosité et un bel amour de la vie. Et la préparation du spectacle ? « J’ai été surprise. Mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. »