Arthur Genibre parle du monde paysan

Entretien réalisé dans le cadre de Singularités ordinaires 

« Je suis né en 1920, le 16 Juin ! C’est qu’on ne se fait pas jeune comprenez ! Je m’appelle Arthur Genibre. Je suis né à St Christophe-La-Guiliou, c’est notre maison ! Là, des fois, la nuit, je me levais, je montais sur la toiture pour composer des morceaux en regardant les étoiles.

Ça m’intéressait. Mon surnom c’est « Lou Finau ». Peut-être l’avez vous entendu ? Mon père était musicien lui aussi, un très grand musicien. Et moi, j’ai le don de composer. Ça me vient comme une lettre à la poste, « zoup ! ». Tout d’un coup, Valse, n’importe, tout y passe. Je m’en souviens toujours. Et çà, c’est un plaisir. »
« La composition ? Ça m’a pris tout d’un coup, en labourant. C'est-à-dire, pour composer, j’ai commencé, oui, en labourant. Mais pour la musique j’allais à la rivière garder les vaches. Les vieux n’aimaient pas trop que je fasse de la musique parce que ça n’allait pas avec le métier de cultivateur… il fallait que je me cache. Alors je prenais la flûte dans la poche. J’allais garder les vaches dans les prés. Là je commençais à jouer, mais tourné vers la rivière, pour que personne ne m’entende. Souvent, il y avait des filles qui gardaient les vaches à côté et qui papotaient. Une fois j’ai voulu sauter la rivière pour les voir, et je m’y suis foutu dedans. J’étais tout trempé. Alors là… j’ai commencé à composer un peu de musique. »
« Et ça, alors… j’étais tombé en panne de lèvres, je ne pouvais pas jouer avec les lèvres. Comment faire ? Il fallait me débrouiller. On me disait « Il te faut jouer ! » Alors ce que j’ai fait… (il enfile la flûte dans son nez et se met à jouer une de ses compositions, ses doigts malades ripent parfois sur l’instrument…) Je ne peux pas jouer j’ai les doigts déformés, je fais des canards mais l’instrument n’en est pas la cause. Alors je faisais par le nez ! Et alors plus tard, je me suis dit que… ici je jouerai, avec la musique… » (il fait mine d’enfoncer la flûte dans son corps, entre le plexus et l’estomac).
« Mon père était un grand musicien, le plus fort de tous. La clarinette était la musique la plus difficile. Il n’aimait pas jouer des chansons faciles, il jouait les plus difficiles. Et pour y arriver comme lui, hum, il y’avait du travail ! Il jouait avec de grands musiciens. Nous qui sommes artistes et qui avons des dons, nous sommes drôlement vêtu. Imagine que mon père était comme moi, quand il allait dans une fête il était mal foutu. Il fallait être mal vêtu. On ne pouvait pas être comme les autres, il fallait se distinguer. »
« - Quand vous jouez de la musique à la maison, vos enfants aiment ça ?
- Oh, ils regardent plus la télévision que… au début ça leur aurait plu, mais maintenant ils ne font plus attention. Je prends jamais, l’accordéon, je ne le joue plus jamais.
- Et quand vous avez rencontré votre femme, ça lui plaisait la musique ?
- Oh, pas tant que ça, au début… mais c’est toujours pareil. Ca lui aurait plu mais elle a commencé avec le poste, et elle a commencé à écouter ça, alors notre musique fût foutue. Ca lui aurait plu, c’est dommage, que je l’aurai accompagnée et tout, mais elle a acheté le poste de télé et tout fut fini. Rien ne fut plus pareil. Notre musique fut foutue. Mais moi je ne l’ai jamais abandonnée quand même, j’y pense tous les jours. Tous les jours je la pense, du matin jusqu’au soir je n’arrête pas de penser la musique : c’est un travail comme un autre… »

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